Paradoxes

L'Avent ou la mémoire d'un Dieu qui bouscule les temps

Parodoxes.
C’est un lieu commun de dire que la foi chrétienne est fondée sur le paradoxe.
Paradoxe d’un Dieu qui meurt, condamné au supplice le plus infâmant de
l’époque. Paradoxe d’une gloire qui s’affirme dans l’humiliation.
J’ai relu les récits de l’enfance dans l’Evangile de Luc et un autre paradoxe m’a
frappé : Marie comme Zacharie parle de l’intervention de Dieu comme
accomplie. Dans le Magnificat, Marie s’exclame que Dieu a renversé les
puissants, qu’il a nourri les affamés, qu’il a sauvé son peuple. (Luc 1, 46-55).
Zacharie prophétise : « Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
parce qu’il a visité son peuple, accompli sa libération, et nous a suscité une
force de salut dans la famille de David, son serviteur » (Luc 1, 68-69). L’emploi
du passé alors que les deux locuteurs parlent de l’avenir est pour le moins
étrange et mérite notre attention. Que signifie-t-il ? L’évangéliste sait bien qu’il
y a toujours des puissants injustes et des pauvres à nourrir. Il sait bien que le
peuple juif dans son ensemble n’a pas reconnu en Jésus la libération et le salut.
D’ailleurs, il y a encore aujourd’hui des puissants injustes et des pauvres à
nourrir.
Pourtant, dans la foi, Dieu nous a déjà tout donné. Dans la foi, tout est déjà
accompli. Et si nous ne vivons certes pas encore dans le royaume de Dieu, ce
dernier a bel et bien fait irruption dans notre monde avec la venue de Jésus.
Nous avons déjà tout reçu. En cette période où tout et tous se bousculent pour
préparer Noël, pour en faire une fête réussie, où toute la famille sera heureuse
d’être réunie, je nous invite à nous arrêter un instant : nous avons déjà tout reçu.
Déjà le monde se transforme. Déjà l’humanité change. Dieu a visité son peuple,
tous les humains qu’il aime. Oui, il est vital de s’arrêter justement en cette
période où nous pensons devoir courir faire nos courses, préparer nos cadeaux,
notre maison, cuisiner nos petits gâteaux. A quoi cela sert -il de courir si nous ne
savons plus pourquoi ? Prenons le temps de nous rappeler ensemble que Dieu
nous a déjà tout donné. Partageons notre joie avec nos frères et sœurs en Christ.
Oui, c’est un paradoxe que ce temps de l’Avent, qui est vécu comme un temps
d’attente (et autrefois de repentance) alors que ce que nous attendons, nous le
possédons déjà ! Paradoxe aussi de reconnaître le don alors que la justice et la
fraternité ne paraissent souvent que des vœux pieux. Et pourtant, la déchirure
des cieux créée par Jésus entre Dieu et notre monde ne s’est jamais refermée,
bien au contraire.
Martin Luther se désolait souvent de ce que l’Evangile qu’il pensait avoir
redécouvert dans sa pureté d’origine ne transformait pas ses ouailles. Nous-
mêmes savons combien nous sommes imparfaits, incapables de vivre le

commandement d’amour. Pourtant, l’Evangile avance, ses valeurs sont devenues
les idéaux de notre civilisation : droits humains, respect de l’autre, de l’animal,
de la création toute entière. Martin Luther était lui aussi trop pressé.
Nos communautés ne sont pas parfaites : malgré tous nos efforts, nous
n’arrivons pas à vivre pleinement la joie et la paix du Christ. Cependant, quel
miracle que ce lieu qu’est l’Eglise où petits et grands, riches et pauvres, humbles
et puissants sont rassemblés, heureux de se retrouver frères et sœurs et de prier,
de louer et de chanter ce Seigneur qui a transformé le monde pour toujours. Le
plus beau moment de Noël ne serait-il pas ce temps où nous chantons ensemble
notre joie ?

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