Prédication du 11 Novembre

Michée 4, 1-4 ; Matthieu 5, 9 et Philippiens 4, 4-5

Frères et sœurs,

Aujourd’hui, c’est le 11 novembre, date anniversaire de la fin de la première guerre mondiale. On se rappelle les millions de soldats tués des deux côtés, on se rappelle l’horreur d’un carnage qui va laisser des veuves, des orphelins, des hommes mutilés dans leur corps et leur esprit, mais aussi les germes de la guerre à venir, tant les termes de la reddition allemande étaient durs. On dit depuis Jules César « malheur aux vaincus ». Depuis 1918, on pourrait dire « malheur à tous ceux qui se font la guerre, vainqueurs et vaincus ».

La guerre, depuis la construction européenne, c’est quelque chose de lointain, aussi bien géographiquement que psychologiquement. Pourtant, il suffit de passer les frontières de l’Europe politique pour se rendre compte que non seulement elle existe, mais elle fait partie de la vision du monde des autres pays. Nous avons tous découvert cela avec stupeur lors de l’invasion de l’Ukraine. Certes, nous le savions, mais c’était « loin », il était facile d’oublier.

Evidemment, personne ne veut vivre la guerre parmi les populations civiles, mais elle fait partie des possibles et souvent, les temps de guerre sont aussi longs que les temps de paix. Nous sommes en quelque sorte l’exception. Voilà qui donne à réfléchir et qui nous rappelle que la paix n’est jamais acquise et que seule l’Europe, avec tous ses défauts, nous la garantit, au moins avec nos voisins.

Aujourd’hui, je souhaite vous parler de paix et pas de la défense de la France, ni des morts pour la France. Dans ma famille alsacienne, on n’est pas mort pour la France pendant la guerre dont nous faisons mémoire les 11 novembre ! Mieux que le miracle que nous vivons depuis plus de 70 ans, il y a la paix dans la Bible. Parmi les nombreux passages qui parlent de paix, j’en ai choisi trois, que vous avez entendus il y a quelques minutes.

A l’époque du prophète Michée, au 7e siècle avant Jésus-Christ, la guerre est l’état quasi normal du monde ; Souvent, ce ne sont que des batailles entre tribus voisines, mais parfois, il s’agit de guerres menées par les grands pays, l’Assyrie ou l’Egypte, pour soumettre des territoires et obtenir plus de richesses. Et voici que Dieu parle à Michée et il lui donne un message pour les humains, un message d’espérance, une promesse de paix. Cette promesse a été méditée par des millions de personnes au travers des siècles, plus de 25 siècles avant que cela ne se réalise sur notre petit coin de planète, et encore, nous fabriquons toujours des armes.

Sauf que, si nous relisons attentivement le texte, ce n’est pas vrai pour nous non plus.  Un jour, Dieu sera le Dieu de tous et tous suivront son enseignement. Un jour, de cette rencontre de Dieu avec tous, la paix sera instaurée et universelle.

Dans la Bible, la paix, ce n’est pas simplement l’absence de guerre. La paix, c’est bien plus que cela. Certes, notre premier texte ne parle pas de cette paix, il mentionne la tranquillité, celle qui provient de la foi en Dieu, mais la paix est implicite, le mot est sous-entendu.
En hébreu, paix se dit shalôm. Et cela ne signifie pas absence de guerre mais accomplissement, harmonie totale entre les humains, avec la création et avec Dieu. Vous voyez que c’est bien plus que l’absence de guerre.

Tout d’abord, c’est l’absence de violence : la paix au sens commun n’exclut pas la violence, qu’elle soit physique ou verbale, matérielle ou psychologique. Et là, nous n’en menons pas large, nous ne sommes pas en paix.

Ensuite, c’est donc un monde réconcilié avec lui-même et avec Dieu : inutile de dire que nous n’y sommes pas non plus.
Et puis, c’est une humanité réconciliée avec la création. Je ne vous redirai pas l’urgence de cette réconciliation, il y va de notre avenir.

La promesse de Dieu au peuple d’Israël, mais en vérité à tous les peuples, c’est que cela arrivera le jour où tout le monde reconnaîtra Dieu comme Dieu.

En ce jour-là, une communion sera instaurée entre chaque être humain et Dieu, c’est là le sens de la référence au figuier et à la vigne ; elle s’épanouira entre les humains et s’étendra à toute la création.

Certains pourraient penser qu’il suffit d’attendre que Dieu intervienne, et que tout cela adviendra. Dans ce cas, à quoi sert la prophétie ? A donner de l’espoir ? Peut-être quelques temps, mais les siècles passent, les millénaires passent et Dieu n’intervient pas, en tous les cas pas comme un Dieu qui s’impose à tous.

Lorsque Dieu envoie Jésus, il a la même mission que tous les prophètes : annoncer l’amour de Dieu, son pardon et expliquer aux humains ce que cela change pour eux. Mais, contrairement aux autres prophètes, Dieu le laisse libre des moyens à employer, des mots à utiliser, des actions à entreprendre.

Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu

Cette phrase est un extrait du sermon sur la montagne, où  Jésus développe sa manière de voir la vie avec Dieu. Heureux, dans cette expression, cela ne signifie pas qu’ils sont joyeux, qu’ils ont réalisé leurs rêves. Heureux, cela signifie qu’ils sont dans cet état de paix qui est le shalôm juif.

Jésus ne parle pas d’une transformation globale, il ne dit pas que les Etats du monde doivent cesser de se faire la guerre. Il ne parle pas non plus d’une conversion universelle de l’humanité qui se tournerait d’un seul bloc vers Dieu. La paix ne vient pas d’en haut, que cela soit des gouvernements ou de Dieu, la paix vient d’en bas, de chacun de nous.

Jésus ne parle pas à un peuple comme entité morale, il parle à une foule constituée d’individus uniques. C’est pourquoi il nous parle, à nous assemblés mais aussi à chacun de nous.

Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils (et filles) de Dieu

Personne ne peut réaliser la paix universelle tout seul. Certes, il y a des personnes qui ont transformé le monde, mais pas à ce point. Aussi, Jésus ne demande pas cela de nous. Faire la paix autour de soi, c’est bien différent, mais c’est le début d’un processus qui peut, lui, s’étendre au monde entier. Faire la paix autour de soi, cela signifie quoi ? Si on lit tout le discours de Jésus, on comprend mieux de quoi il parle. Il s’agit d’être sans cesse dans le respect des autres, même ceux qui nous détestent, même ceux que nous-mêmes n’arrivons pas à aimer. Concrètement, il explique que Dieu est le Dieu de tous, les bons comme les méchants. Alors, il faut prier pour tous, bons et méchants. Il faut agir envers eux comme nous aimerions qu’ils agissent envers nous.

Nous savons bien que cela marche, puisque ce sont les règles fondamentales de l’action non violente développée au 20e siècle, et qui a porté de nombreux fruits.
Mais nous avons du mal à nous y mettre parce que c’est difficile.
Alors, relisons :

Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu

Encore une fois, ce n’est pas pour Dieu que nous agissons, c’est pour nous. Si nous faisons la paix autour de nous, nous ressentons cette harmonie qui est le shalôm, cette communion avec Dieu, les autres et le monde. N’est-ce pas cela être fils et filles de Dieu ?

La paix, la vraie, celle que Jésus nous donne pourvu que nous aimions Dieu et notre prochain, commence là. Mais il n’est pas dit qu’elle s’arrête là, bien au contraire.

Parce que des hommes et des femmes ont décidé de laisser derrière eux les ressentiments, le besoin de vengeance et de punition, mais aussi la peur de celui qu’on ne connaît pas, notre Europe est en paix. Parce que de plus en plus de personnes appellent au respect et vivent ce respect dans leur quotidien, nous avons pris conscience de l’importance du dialogue et de l’écoute réciproque ; nous avons pris conscience des besoins des autres êtres vivants ; nous avons pris conscience des erreurs de notre passé collectif.

Ce n’est pas parfait, loin de là. Je n’ai jamais dit que nous vivions le royaume de Dieu, mais nous marchons sur son chemin.

L’apôtre Paul encourageait déjà les habitants de Philippe à « être bon avec tous ». Lui aussi lie la joie au sentiment de paix que nous recevons de Dieu lorsque nous construisons pour la paix. C’est qu’il s’agit pour lui d’une expérience personnelle. Il sait que la haine, le mépris sont des destructeurs de lien : lien avec Dieu, lien avec les autres. Ils rongent nos vies et détruisent nos moments de bien-être, de paix, de bonheur.

La paix n’est pas une recette qu’on apprend et qu’on applique. Elle ne vient pas d’en haut. Elle est à réinventer chaque jour et vient du plus profond de nous. Ce ne sont pas les traités internationaux qui nous garantissent la paix. Ce ne sont pas les chefs d’Etats qui arrêteront d’eux-mêmes de vendre des armes. Non, c’est de nous, de chacun de nous et de nous tous ensemble que la paix est issue, de notre refus de la guerre, de notre apprentissage du respect de l’autre et du témoignage que nous pouvons apporter au monde de la joie que nous éprouvons à vivre la paix de Dieu, cette harmonie qu’il désire pour l’humanité depuis le commencement.

Amen

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